Etant donné un polynôme à coefficients complexes non constant, comment majorer le module de ses racines ?
Une réponse sera abordée dans cet article, grâce à la notion de borne de Cauchy.
Soit $n$ un entier naturel non nul et soit $P\in\C[X]$ un polynôme unitaire de degré $n.$ Il existe $n$ coefficients, $a_0,\dots,a_{n-1}$ tels que :
P(X) = X^n + a_{n−1}X^{n−1} + \cdots + a_1X + a_0.
Le cas $a_0 = \cdots = a_{n-1} = 0$ fournit $P(X) = X^n$ et $P$ admet $0$ pour racine unique.
Dans la suite, vous supposerez que les coefficients $a_0,\dots,a_{n-1}$ ne sont pas tous simultanément nuls.
Ramenez-vous à un polynôme réel
Considérez le polynôme $Q\in\R[X]$ défini par :
Q(X) = X^n - \vert a_{n−1}\vert X^{n−1} - \cdots - \vert a_1\vert X - \vert a_0\vert.
Ensuite, pour tout réel $x > 0$ vous posez :
f(x) = \frac{Q(x)}{x^n}.
Cette égalité définit une fonction réelle $f$, définie sur $]0,+\infty[.$
Notez que, pour tout $x>0$:
\begin{align*} f(x) &= 1-\frac{\vert a_{n−1}\vert}{x} - \cdots - \frac{\vert a_1\vert}{x^{n-1}} - \frac{\vert a_0\vert}{x^n}\\ &=1-\sum_{k=1}^n \frac{\vert a_{n-k}\vert}{x^k}\\ &=1-\sum_{\ell=0}^{n-1} \frac{\vert a_{\ell}\vert}{x^{n-\ell}}. \end{align*}
En dérivant, il vient, pour tout $x>0$:
\begin{align*} f'(x) &= - \sum_{k=1}^n \frac{-k \vert a_{n-k} \vert }{x^{k+1}}\\ &= \sum_{k=1}^n \frac{k \vert a_{n-k} \vert }{x^{k+1}}\\ &= \sum_{\ell=0}^{n-1} \frac{(n-\ell) \vert a_{\ell} \vert }{x^{n-\ell+1}}. \end{align*}
Soit $i\in\llbracket 0,n-1\rrbracket$ tel que $a_i \neq 0.$ Par positivité des éléments de la somme précédente, vous déduisez:
\forall x>0, f'(x)\geq \frac{(n-i)\vert a_i \vert}{x^{n-i+1}}.
Comme $\vert a_i \vert >0$ vous déduisez:
\forall x>0, f'(x) >0.
Sur l’intervalle $]0,+\infty[$ la fonction $f$ est strictement croissante.
D’autre part, pour tout $x>0$:
\begin{align*} \sum_{\ell=0}^{n-1} \frac{\vert a_{\ell}\vert}{x^{n-\ell}} &\geq \frac{\vert a_{i}\vert}{x^{n-i}}\\ -\sum_{\ell=0}^{n-1} \frac{\vert a_{\ell}\vert}{x^{n-\ell}} &\leq - \frac{\vert a_{i}\vert}{x^{n-i}}\\ 1-\sum_{\ell=0}^{n-1} \frac{\vert a_{\ell}\vert}{x^{n-\ell}} &\leq 1- \frac{\vert a_{i}\vert}{x^{n-i}}\\ f(x) &\leq 1- \frac{\vert a_{i}\vert}{x^{n-i}}. \end{align*}
D’autre part, comme $n-i > 0$, vous déduisez:
\lim_{\substack{x\to 0 \\x>0}} x^{n-i} = 0^{+}.
Ainsi:
\begin{align*} \lim_{\substack{x\to 0 \\x>0}} \frac{\vert a_i \vert}{x^{n-i}} &= +\infty \\ \lim_{\substack{x\to 0 \\x>0}} 1-\frac{\vert a_i \vert}{x^{n-i}} &= -\infty. \end{align*}
Par comparaison, il vient:
\lim_{\substack{x\to 0 \\x>0}} f(x) = -\infty.
Maintenant, pour l’étude en $+\infty$ vous pouvez remarquer que:
\forall k\in\llbracket 1, n\rrbracket, \lim_{x\to +\infty} x^k = +\infty.
Du coup:
\forall k\in\llbracket 1, n\rrbracket, \lim_{x\to +\infty} \frac{\vert a_{n-k}\vert}{x^k} = 0.
Par somme, vous déduisez:
\lim_{x\to +\infty} f(x) = 1.
Compte tenu des limites précédentes, de la continuité de $f$ sur $]0,+\infty[$ et de sa stricte monotonie, vous avez établi que la fonction $f$ réalise une bijection de $]0,+\infty[$ vers $]-\infty,1[.$
Comme $0\in]-\infty,1[$, l’équation $f(x) = 0$ admet une solution et une seule dans $]0,+\infty[.$
Définissez la borne de Cauchy
D’après la section précédente, il existe un unique réel strictement positif, noté $c(P)$ tel que $f(c(P))=0.$ Le nombre $c(P)$ sera appelé borne de Cauchy du polynôme $P.$
Vous allez montrer que $c(P)$ est l’unique solution strictement positive de l’équation $Q(x)=0.$
Analyse. Soit $t\in\R$ un nombre strictement positif tel que $Q(t) = 0.$ Alors $\frac{Q(t)}{t^n} = 0$ donc $f(t)=0$ et $t = c(P).$
Synthèse. Posez $t = c(P)$. Alors $t>0$ et comme $f(t)=0$ il vient $\frac{Q(t)}{t^n} = 0$ puis $Q(t)=0.$
En définitive, il existe un unique réel strictement positif, noté $c(P)$ et appelé borne de Cauchy, tel que:
\boxed{c(P)^n = \vert a_{n−1}\vert c(P)^{n−1} + \cdots + \vert a_1\vert c(P) + \vert a_0\vert.}
Obtenez un encadrement du maximum du module des racines de $P$
En tant que polynôme unitaire de $\C[X]$ et en vertu du théorème de d’Alembert, il existe $n$ nombres complexes (pas nécessairement distincts) $r_1,\dots, r_n$ tels que :
P(X) = (X-r_1)\cdots(X-r_n).
Vous notez $\boxed{R = \max \{\vert r_i\vert, i\in\llbracket 1,n\rrbracket\}.}$
Une majoration de $R$
Soit $i\in\llbracket 1, n\rrbracket.$ Comme $P(r_i) = 0$, vous déduisez :
\begin{align*} r_i^n &= - a_{n−1}r_i^{n−1} - \cdots - a_1r_i - a_0\\ \vert r_i\vert ^n &= \vert -a_{n−1}r_i^{n−1} - \cdots - a_1r_i - a_0 \vert\\ \vert r_i\vert ^n &= \vert a_{n−1}r_i^{n−1} + \cdots + a_1r_i + a_0 \vert. \end{align*}
Utilisant l’inégalité triangulaire :
\begin{align*} \vert r_i\vert ^n &\leq \vert a_{n−1} r_i\vert^{n−1} + \cdots + \vert a_1r_i\vert + \vert a_0 \vert\\ &\leq \vert a_{n−1}\vert \vert r_i\vert^{n−1} + \cdots + \vert a_1\vert \vert r_i\vert + \vert a_0 \vert\\ &\leq \vert a_{n−1}\vert R^{n−1} + \cdots + \vert a_1\vert R + \vert a_0 \vert. \end{align*}
Ainsi :
\forall i\in\llbracket 1,n\rrbracket, \vert r_i\vert^n\leq \vert a_{n−1}\vert R^{n−1} + \cdots + \vert a_1\vert R + \vert a_0 \vert.
Or, il existe $i_0\in\llbracket 1, n\rrbracket$ tel que $R = \vert r_{i_0}\vert.$ Du coup :
\begin{align*} R^n&\leq \vert a_{n−1}\vert R^{n−1} + \cdots + \vert a_1\vert R + \vert a_0 \vert \\ R^n -\vert a_{n−1}\vert R^{n−1} - \cdots - \vert a_1\vert R - \vert a_0 \vert &\leq 0\\ Q(R)&\leq 0. \end{align*}
Si $R$ est nul, alors $\vert r_1 \vert = \cdots = \vert r_n \vert = 0$ et donc $P(X) = X^n$ ce qui entraîne la nullité de tous les coefficients $a_0,\dots,a_{n-1}$ ce qui est absurde. Donc $R>0.$
Du coup, $\frac{Q(R)}{R^n} \leq 0$ soit $f(R)\leq 0$ et par suite $f(R)\leq f(c(P)).$ Supposez que $R > c(P).$ Comme $c(P)>0$, $R$ et $c(P)$ appartiennent à l’intervalle $]0,+\infty[.$ Comme $f$ est strictement croissante sur cet intervalle, vous déduisez $f(R) > f(c(P))$, contradiction.
Ainsi, le maximum des modules des racines de $P$ est inférieur ou égal à la borne de Cauchy:
\boxed{R\leq c(P).}
Une minoration de $R$
Vous développez l’expression:
P(X) = (X-r_1)\cdots(X-r_n).
Pour cela vous utilisez les fonctions symétriques des racines:
\left\{\begin{align*} \sigma_1 &= r_1+\cdots+r_n =\sum_{i=1}^n r_i\\ \vdots\\ \sigma_k &= \sum_{1\leq i_1<\cdots < i_k \leq n} r_{i_1}\cdots r_{i_k}\\ \vdots\\ \sigma_n &= r_1\cdots r_n.\\ \end{align*} \right.
Il vient:
P(X) = X^n-\sigma_1X^{n-1}+\cdots+(-1)^k \sigma_kX^{n-k}+\cdots+(-1)^n\sigma_n.
Or:
P(X) = X^n + \sum_{k=1}^n a_{n−k}X^{n−k}.
Par identification, vous déduisez:
\forall k\in\llbracket 1,n\rrbracket, a_{n-k} = (-1)^k\sigma_k.
Soit maintenant $k$ fixé appartenant à l’intervalle d’entiers $\llbracket 1, n\rrbracket.$ Vous avez:
\begin{align*} \vert a_{n-k} \vert &= \vert \sigma_k\vert \\ &=\left\vert \sum_{1\leq i_1<\cdots < i_k \leq n} r_{i_1}\cdots r_{i_k} \right\vert. \end{align*}
Par inégalité triangulaire:
\begin{align*} \vert a_{n-k} \vert &\leq \sum_{1\leq i_1<\cdots < i_k \leq n} \vert r_{i_1}\cdots r_{i_k} \vert \\ &\leq \sum_{1\leq i_1<\cdots < i_k \leq n} \vert r_{i_1}\vert \cdots \vert r_{i_k} \vert \\ &\leq \sum_{1\leq i_1<\cdots < i_k \leq n}R^k \\ &\leq \binom{n}{k} R^k. \end{align*}
Ainsi:
\forall k\in\llbracket 1, n\rrbracket, \vert a_{n-k} \vert \leq \binom{n}{k} R^k.
Or:
c(P)^n = \sum_{k=1}^n\vert a_{n−k}\vert c(P)^{n−k}.
Vous déduisez la majoration:
c(P)^n \leq \sum_{k=1}^n \binom{n}{k} R^k c(P)^{n−k}.
Il manque un terme pour obtenir le développement du binôme. Vous rajoutez ce terme:
\begin{align*} c(P)^n + c(P)^n &\leq \sum_{k=1}^n \binom{n}{k} R^k c(P)^{n−k} + c(P)^n \\ 2 c(P)^n &\leq \sum_{k=0}^n \binom{n}{k} R^k c(P)^{n−k} \\ 2 c(P)^n &\leq (R + c(P) )^{n} \\ \sqrt[n]{2} c(P) &\leq R+c(P). \end{align*}
Finalement :
\boxed{(\sqrt[n]{2} -1)c(P) \leq R.}
Concluez
En notant $R$ le maximum des modules de racines de $P$ et $c(P)$ la borne de Cauchy de $P$, vous avez un encadrement de $R$ :
\boxed{(\sqrt[n]{2} -1)c(P) \leq R\leq c(P).}
Une majoration de $c(P)$ par les coefficients du polynôme $P$
Il a été vu que $c(P)$ vérifie l’égalité suivante $f(c(P))=0.$
Pour effectuer une majoration, vous posez :
A = \max\{\vert a_i\vert, i\in\llbracket 0, n-1\rrbracket\}.
Remarquez que $A >0.$
Cela aboutit à :
\begin{align*} \vert a_{n−1}\vert (1+A)^{n−1} + \cdots + \vert a_1\vert (1+A) + \vert a_0\vert &\leq A((1+A)^{n-1}+\cdots+(1+A)+1)\\ &\leq A \times \frac{(1+A)^n-1}{(1+A)-1} \\ &\leq (1+A)^n-1\\ &< (1+A)^n. \end{align*}
Par suite, $Q(1+A) > 0$ et donc $\frac{Q(1+A)}{(1+A)^n} > 0$ donc $f(1+A)>0$ et donc $f(1+A)> f(c(P)).$
Si $1+A\leq c(P) $, alors vu que $c(P)>0$ les réels $c(P)$ et $1+A$ appartiennent à l’intervalle $]0,+\infty[.$ Or $f$ est croissante sur cet intervalle, donc $f(1+A)\leq f(c(P))$, contradiction. Ainsi $c(P) < 1+A.$
Concluez
Pour tout polynôme $P$ à coefficients complexes non constant, vous notez $\rho(P)$ le maximum du module de ses racines.
Pour tout polynôme $P$ unitaire à coefficients complexes, non constant de degré $n\in\NN$, différent de $X^n$, il existe un unique $n$-uplet $(a_0\dots,a_{n-1})\in\C^n \setminus \{(0,\dots,0)\}$ tel que:
P(X) = X^n + a_{n−1}X^{n−1} + \cdots + a_1X + a_0.
De plus, il existe un unique $c(P)\in\R_{+}^{*}$, appelé borne de Cauchy de $P$, qui est la seule solution de l’équation suivante d’inconnue $x\in\R_{+}^{*}$:
x^n = \vert a_{n-1}\vert x^{n-1}+\cdots+\vert a_1\vert x +\vert a_0\vert .
De plus, les inégalités suivantes sont vérifiées:
\boxed{(\sqrt[n]{2} -1)c(P) \leq \rho(P)\leq c(P)< 1+\max \{\vert a_i \vert, i\in\llbracket 0, n-1\rrbracket \}.}
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